Les conditions de la réussite

Cet article a été réalisé pour la rubrique "Enjeux" du magazine Omalius #27 de décembre 2022.

Réussir. L’objectif en soi est intimidant et parfois même paralysant dans un contexte où avoir un diplôme semble le graal dont on ne saurait se passer. « Le problème de l’échec n’est pas neuf : en première année de supérieur, il concerne environ la moitié des étudiants et ce taux est stable depuis 60 ou 70 ans », rappelle Marc Romainville, responsable du service de pédagogie universitaire à l’UNamur. « Mais il y a 60 ou 70 ans, seuls quelque 10 % des jeunes poursuivaient leur scolarité dans le supérieur. Aujourd’hui ils sont plus de 50 %. On ne peut donc pas rester indifférent face à ce phénomène. » Plusieurs décrets prévoient d’ailleurs que les universités consacrent une partie de leurs moyens financiers à l’aide à la réussite, notamment dans les premières années. Ces mesures apparaissent d’autant plus nécessaires que la Belgique francophone est l’une des seules régions au monde à posséder un tel système de libre accèsaux études supérieures : avec son diplôme du secondaire en poche, un jeune peut sinscrire dans n’importe quelle filière de l’enseignement supérieur – à la rare exception de certains cursus artistiques, des études d’ingénieurs et désormais de la médecine pour lesquels il existe un examen d’entrée. « L’accès universel à l’enseignement supérieur autorise un scénario où certains étudiants procèdent par essais-erreurs, avec l’idée qu’il y aurait en quelque sorte une année test pour découvrir sa voie », commente Laurent Schumacher, vice-recteur à la formation à l’UNamur.  

Laurent Schumacher

Rester sur les rails ou choisir sa voie

Pour beaucoup, la question même du type d’enseignement ne se pose pas. Il faut « faire l’unif ». Une évidence véhiculée par une société qui valorise les études universitaires et les considère de facto comme garantes d’un emploi et d’une bonne situation future « Les études supérieures ne sont pas en soi professionnalisantes. Elles vous donnent essentiellement une méthodologie pour continuer à apprendre. La logique d’utilisation immédiate des compétences est beaucoup plus forte dans d’autres types d’enseignements », commente Laurent Schumacher.

« Toutefois, il y a dans la société l’idée qu’un étudiant qui sort des humanités générales devrait s’inscrire par défaut dans l’enseignement supérieur de type long. Une fraction des étudiants se lance ainsi dans des études qui ne font pas sens pour eux : au terme de la première année, les résultats trahissent parfois l’ampleur du désalignement entre les compétences et les aspirations de l’étudiant d’une part, et les attentes des organisateurs de la formation d’autre part », poursuit-il. Différentes mesures favorisant une transition satisfaisante entre le secondaire et l’université telles que le tutorat ou le « Passeport pour le bac » ont ainsi été mises en place par l’UNamur au fil des années. Mais d’un point de vue collectif, ce sont les représentations liées à certains métiers qui doivent aussi évoluer. « La question des ‘rôles modèles’ qui permettent de s’identifier à certaines personnes est importante : l’avocat ou le médecin sont des figures bien incarnées dans la société, au contraire d’autres professions tout aussi nécessaires », souligne Laurent Schumacher. 

Droit ? Psycho ? Bio ? De nombreux étudiants rencontrent également des difficultés concernant l’orientation disciplinaire. « Le choix de la couleur disciplinaire se fait souvent davantage en fonction d’une affinité avec une matière du secondaire plutôt que dans une perspective de débouché », poursuit le vice-recteur à la formation. Une logique qui aboutit à des erreurs d’aiguillage qui méritent d’être corrigées le plus tôt possible, ce que permet notamment le dispositif ReBOND proposée par l’UNamuret le pôle namurois : adressé aux étudiants qui envisagent d’arrêter leur première année dès les premiers mois, ce programme individualisé de formation et de réorientation leur propose de mettre à profit le second semestre pour repartir du bon pied 

Méthodes propres

Bien sûr, même bien orienté, un étudiant peut rencontrer des difficultés dans son parcours, notamment en raison de failles méthodologiques. Basé sur une expérience de vingt années d’accompagnement méthodologique des étudiants, le MOOC « Visez la réussite » mis en place par l’UNamur propose depuis 2020 plusieurs modules dédiés à la gestion du temps et de la procrastination, au travail actif de la matière, à la mémorisation, à l’autonomie, mais aussi à la gestion des émotions. « L’objectif est d’aider les jeunes à adapter leurs méthodes d’apprentissage et de travail aux exigences des études supérieures », commente Charlotte Sine, techno-pédagogue et coordinatrice du MOOC. Ce cours en ligne vise ainsi à enrichir le « curriculum caché » des étudiants, une notion de sociologie qui désigne les compétences requises implicitement par l’institution mais auxquelles les personnes ne sont en réalité pas fores.

« L’idée est de pouvoir les outiller tout en gardant à l’esprit qu’il n’existe pas de stratégies clef sur porte, de trucs », souligne Charlotte Sine. L’apprentissage est en effet un processus complexe : l’enjeu principal serait plutôt de bien se connaître et d’identifier les meilleures méthodes pour soi. Le MOOC, qui connaît un franc succès, a enregistré en deux ans quelque 20 000 inscriptions, non seulement en Belgique mais aussi en France et au Québec puisque ce cours en ligne est accessible à tous et gratuit. « Il y a des étudiants mais aussi des élèves du secondaire, de même que des enseignants du secondaire – jusqu’à 10 % des inscrits – qui souhaitent accompagner leurs élèves dans cet apprentissage », souligne Charlotte Sine.  

Vie parallèle

Enfin, la réussite universitaire dépend de certaines conditions matérielles : la précarité étudiante, que l’on sait croissante, peut évidemment y faire obstacle. « De plus en plus d’étudiants ont une activité professionnelle pour financer leurs études », constate Laurent Schumacher. « Mais évidemment, les journées n’ont que 24 heures. Combiner la charge de travail et la charge mentale entre les études et l’activité professionnelle n’est pas toujours évident. Le présupposé que l’étudiant est à 100% sur ses études est de moins en moins vrai : c’est le corollaire malheureux d’une dimension heureuse, celle du système d’accès universel. » Les étudiants confrontés à des situations socio-économiques difficiles peuvent s’adresser à la Cellule sociale dont dispose l’UNamur. Elle intervient à la demande de l'étudiant et a pour mission de l'accompagner, de le soutenir et d'intervenir, entre autres, financièrement. Outre la nécessité de travailler, certains jeunes sont aussi confrontés à des situations familiales délicates dans lesquelles il leur faut jouer le rôle de soutien logistique, administratif ou psychologique. « L’université est consciente de ces difficultés et essaie de trouver avec ces étudiants les meilleurs aménagements. Les enseignants sont souvent d’ailleurs les premiers relais des difficultés rencontrées par leurs étudiants, grâce à cette culture de proximité que nous avons à l’UNamur », souligne le vice-recteur à la formation. Des difficultés que la crise sanitaire a sans conteste accentuées, comme elle a exacerbé les problèmes de santé mentale, de concentration et de rythme de travail chez certains jeunes. « On s’est retrouvés face à des cohortes qui n’avaient plus eu un vrai rythme de travail pendant un certain temps. Or ce qui a pu être compensé dans un contexte de scolarité obligatoire est plus difficile à masquer dans l’enseignement supérieur », souligne encore Laurent Schumacher. Au-delà des répercussions de la crise sanitaire, la crise écologique et la guerre en Ukraine sont récemment venues poser d’une manière plus tranchante la question du sens : sens des études, sens d’un métier, valeurs à défendre ou à contester au sein même de ses échecs et de ses réussites. Un questionnement que l’université, à travers ses enseignements, se doit aussi d’accompagner.  

Cinq questions à Anne Faton, responsable de la cellule médico-psychologique à l’UNamur.

Que propose votre service en matière d’aide à la réussite ? 

Je dirais que tout ce qu’on fait est de l’ordre de l’aide à la réussite. Il y a d’abord les consultations qui concernent la réorientation : on y incite beaucoup les étudiants à penser métier plutôt que formation. Ensuite il y a les consultations psychologiques : que l’étudiant rencontre des problèmes familiaux, qu’il ait des troubles du comportement alimentaire ou subisse de la violence, du harcèlement, c’est forcément un obstacle à la réussite. Nous avons aussi des consultations spécifiques de gestion du stress et enfin des consultations médicales. Des actions de promotion de la santé sont par ailleurs organisées en collaboration avec les étudiants dans une optique de réduction des risques (consommation d’alcool, consentement...). L’ensemble de ces services est entièrement gratuit.  

La demande a-t-elle augmenté depuis la crise sanitaire ? 

Elle est beaucoup plus importante. Nous avons eu jusqu’à 30 personnes sur la liste d’attente pendant la crise covid. Et les demandes restent très nombreuses : chaque jour, alors que nous suivons environ 300 étudiants par an, nous recevons deux à trois nouvelles demandes. On voit davantage de demandes venant de garçons, mais aussi plus de demandes d’étudiants étrangers. Probablement parce qu’on a beaucoup parlé de santé mentale pendant la crise sanitaire et qu’il est peut-être aujourd’hui considéré comme plus « normal » de consulter un psy. 

Votre service accompagne aussi les étudiants à besoins spécifiques.  

Oui, nous accompagnons les élèves qui présentent un handicap, un trouble de l’apprentissage, une maladie invalidante grâce à la mise en place d’un PAI (programme d’accompagnement individualisé). En 2015, quand on a démarré, on avait 30 demandes : on est aujourd’hui à 200, car cet accompagnement est mieux connu. Comme il est mis en place dès le primaire et le secondaire, il y a aussi une volonté de continuité dans l’aménagement. 

Pensez-vous que les études universitaires génèrent une pression particulière ? 

Ce qui est caractéristique de l’université, c’est le volume de matière : la tâche est énorme... et elle l’est de plus en plus 

Qu’est-ce qui peut faciliter la réussite par rapport à cette contrainte spécifique ? 

Deux choses. Premièrement, trouver un équilibre travail-loisir : il faut que l’étudiant prenne conscience que s’arrêter, se détendre, ce n’est pas perdre du temps, mais au contraire recharger ses batteries. Deuxièmement, l’aspect relationnel, les réseaux. Avoir des contacts et mettre en place des collaborations avec les autres étudiants est un facteur essentiel de réussite, qui a d’ailleurs été mis à mal pendant le covid.  

 

Apprentissage et émotions

« Toute une série d’études lie aujourd’hui les facteurs émotionnels aux capacités cognitives ; par exemple les capacités à mémoriser, à se concentrer et plus globalement à s’engager dans les études », explique Line Fischer, chercheuse à l’UNamur. Un étudiant avec d’excellentes capacités intellectuelles peut donc se trouver en échec pour des raisons liées à une mauvaise gestion de ses « émotions académiques ». « J’appelle ‘émotions académiques’ les émotions qui trouvent leur source dans différentes situations d’apprentissage », détaille Line Fischer.  « Ce qui va être déterminant, c’est la capacité d’un étudiant à gérer ses émotions au profit des buts qu’il se fixe, or pour gérer ses émotions il faut d’abord savoir les reconnaître et les nommer. » 

Émotions désagréables et désengagement

On distingue principalement deux types de stratégies de régulation émotionnelle : d’une part les stratégies de régulation comportementale (rechercher davantage d’informations sur le sujet étudié pour se sentir en confiance, aller courir pour se vider la tête), et d’autre part les stratégies de régulation cognitive, qui concernent la manière dont on pense aux émotions ressenties. Ces stratégies peuvent être plus ou moins efficaces selon la situation, le contexte, l’étudiant, etc. « Par exemple, un étudiant qui ne parvient pas à faire un exercice peut "catastrophiser" la situation en se disant qu’il est nul, qu’il a toujours été nul, etc. Ou encore, il peut commencer à se blâmer lui-même ou à blâmer l’enseignant. Ce type de stratégies risque bien d’augmenter les émotions désagréables plutôt que de les diminuer. » Or un surplus d’émotions désagréables peut rapidement conduire à l’échec. « Si les émotions liées à l’apprentissage sont trop désagréables et trop intenses, peu à peu, il y a un risque d’évitement et de désengagement par rapport aux contenus car apprendre devient alors trop menaçant », souligne la chercheuse.  

Apprendre : une prise de risque

Il est donc crucial de s’appuyer aussi sur les émotions académiques agréables, par exemple l’intérêt pour la matière étudiée, le plaisir d’apprendre ou encore l’enthousiasme par rapport à un contenu. En effet, la présence d’émotions agréables dans l’apprentissage (notamment dans les périodes telles que le blocus) est perçue par les étudiants comme une confirmation qu’ils ont une bonne méthode de travail ou qu’ils sont bien orientés. À l’inverse, l’absence d’émotions agréables les fait douter sur ces points.  Comme le souligne Line Fischer, il est du reste impossible de supprimer l’ensemble des émotions désagréables liées à l’apprentissage puisqu’apprendre nécessite des sacrifices et des efforts. Tout est donc question d’équilibre. « Apprendre suppose de prendre un risque, de modifier ses anciennes manières de penser pour s’adapter à de nouvelles connaissances. C’est pourquoi l’enseignant doit pouvoir créer un climat de sécurité pour favoriser l’apprentissage. Cela passe notamment par la qualité de la relation pédagogique qu’il va nouer avec les apprenants : on sait en effet qu’en secondaire, les élèves décrocheurs rapportent comme l’une des premières causes du décrochage des expériences relationnelles compliquées avec les enseignants. »  

Une Omalius 27
Cet article est tiré du magazine Omalius #27 de décembre 2022.

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