Bruno Colson

Cette interview a été réalisée pour la rubrique "Expert" du magazine Omalius #26 (septembre 2022)

Votre exposition s’intitule « La gloire des "Wallons" ». À quoi cela fait-il référence ?

Il s’agit d’une période plutôt oubliée de notre histoire, celle des Pays-Bas autrichiens. Entre 1725 et 1795, de jeunes Belges se sont engagés dans l’armée multinationale des Habsbourg, aux côtés des Autrichiens, d’Allemands, de Tchèques, de Slovaques, de Hongrois… Les Habsbourg d’Autriche étaient les souverains légitimes, par héritage familial, de nos régions, y compris le duché de Luxembourg mais excepté la principauté de Liège qui était autonome à l’intérieur du Saint Empire romain germanique. Il est difficile de chiffrer le nombre total des Belges qui ont servi dans l’armée des Habsbourg. Mais durant plus de 70 ans, ils ont fourni chaque année entre 9 000 et 17 000 hommes, tous volontaires. Globalement, la « période autrichienne » fut plutôt favorable à la croissance économique de nos régions. Contrairement au XVIIe siècle, elles connurent moins la guerre et ses malheurs. Il y eut donc un enrichissement relatif de la population, notamment grâce au développement du tissage et à de meilleurs rendements agricoles.

Pourquoi parlait-on de « Wallons » plutôt que de « Belges » dans le domaine militaire ?

Vous aurez remarqué que « Wallons » est entouré de guillemets pour signaler un usage différent d’aujourd’hui. Il y avait bien sûr des Flamands et des Bruxellois qui s’engageaient dans les régiments dits « wallons ». L’origine de cette appellation n’est pas claire. Elle remonte à l’époque de Charles Quint. Les historiens conviennent cependant que le métier des armes attirait un peu plus les populations wallonnes. Les Flamands, dont les villes se sont beaucoup développées dès le Moyen Âge, vivaient davantage du commerce et de l’artisanat. Ils avaient donc moins de raisons de contracter un engagement militaire. Mais l’appellation de « régiments wallons » est un exemple de la désignation d’une partie pour le tout, comme l’expression « peinture flamande ». Au XVIIIe siècle, on qualifiait parfois de « Flamands » tous les habitants des Pays-Bas car le comté de Flandre était l’entité la plus connue et la plus riche. Le mot "Wallonie", lui, n’existait pas. 

Comment cette époque a-t-elle pris fin ?

Avec les guerres de la Révolution française. Les Français envahissent nos régions en 1792, ils sont repoussés en 1793 mais reviennent en 1794, pour vingt ans. Lors du traité de Campo Formio en 1797, François II de Habsbourg cède les Pays-Bas à la République française. Sur le plan international, la Belgique est annexée à la France. L’armée autrichienne ne peut donc plus recruter de soldats dans nos régions. Pourtant, la plupart des officiers des régiments « wallons » restent fidèles aux Habsbourg et quelques Belges continuent même de rejoindre en secret l’armée autrichienne.

Des Namurois ont-ils servi dans l’armée des Habsbourg ?

Bien sûr. Le comté de Namur était une entité plutôt modeste au sein des Pays-Bas. Mais l’exposition à la BUMP met à l’honneur quelques officiers namurois. Le comte Jacques François de Groesbeeck était capitaine de grenadiers au régiment de Ligne-infanterie au début de la guerre de Sept Ans. Il fut tué au combat de Görlitz en Silésie, le 7 septembre 1757. Le prince Charles-Joseph de Ligne écrivit une lettre de condoléances à sa famille. Le document est toujours conservé aux Archives de l’Etat à Namur. On verra aussi dans les vitrines de l’exposition deux figurines représentant Louis Auguste Fallon et Louis de Romrée, des noms toujours portés aujourd’hui par des Namurois. 

Le prince Charles-Joseph de Ligne est un personnage connu. Qui était-il ?

Parfois surnommé « le Prince rose » à cause des couleurs de sa livrée et du régiment d’infanterie de son père, Charles-Joseph de Ligne (1735-1814) fut un des plus grands écrivains du XVIIIe siècle, abordant tous les genres, de la pièce de théâtre au roman. Personnage cosmopolite et de grande culture, aussi à l’aise dans les salons de Versailles que dans ceux de Vienne et de Saint-Pétersbourg, il incarne le « bel esprit » de son siècle au moment où celui-ci se meurt dans les tourments de l’époque révolutionnaire. Il quitte son beau château de Belœil en 1794, à l’arrivée des troupes françaises, pour se réfugier à Vienne. Mais avant d’être un écrivain, il a été un officier intrépide et s’est beaucoup distingué durant la guerre de Sept Ans. Il a également écrit des ouvrages de réflexion sur le métier militaire : plusieurs sont présentés dans l’exposition. Comme d’autres Belges, il parvient au grade suprême de feld-maréchal, en 1808.   

Que garde-t-on de cette époque ?

Les Autrichiens n’avaient pas autant le souci de la gloire militaire que les Français, les Prussiens ou les Russes. Aussi ont-ils gardé moins d’objets de cette époque. Si vous observez les uniformes de l’armée des Habsbourg, à part les hussards hongrois avec leur costume national, vous ne verrez pas autant d’épaulettes, d’ornements, de couleurs, de broderies que dans l’armée française, par exemple. L’infanterie autrichienne portait des uniformes assez simples, les moins coûteux possibles, blanchis à la craie. Il n’y avait pas non plus comme en France autant de commandes officielles de « peintures de batailles ». 

Les Belges rejoignent un peu les Autrichiens sur ce plan. Ils les rejoignent aussi en matière d’autonomie et de libertés locales. Ce n’est pas un hasard si ce sont des pays fédéraux. 

Vous terminez votre carrière à l’UNamur, quel souvenir gardez-vous ?

Je vais partir heureux et très reconnaissant de ce que j’ai pu accomplir ici.

J’ai eu notamment la chance de pouvoir instaurer un cours d’histoire militaire.  Namur est d’ailleurs la seule université belge à proposer un tel cours, qui rencontre un beau succès auprès des étudiants. J’ai toujours aimé enseigner et partager avec des jeunes ma passion pour l’histoire. Mes cours ont toujours été suivis par des étudiants d’au moins deux programmes différents : droit, sciences politiques, histoire et philosophie. J’ai développé avec eux une relation qui est devenue un peu paternelle, au fil des années. J’estime qu’on m’a vraiment donné toutes les possibilités de m’épanouir intellectuellement, je n’aurais pas pu rêver mieux. 

CV express

  • Né en septembre 1957
  • Docteur en histoire (Sorbonne, Paris) et en sciences politiques (UCL)
  • Licencié et agrégé en histoire (UCL) et en philologie classique (ULg)
  • Doyen de la Faculté de droit de 2005 à 2009
  • Professeur en histoire constitutionnelle et régimes politiques, histoire des idées politiques, histoire des relations internationales, guerre et stratégie à l’époque contemporaine à l’UNamur
  • Namurois de l'année 2006 (domaine scientifique)
  • Officier de l'ordre de Léopold II
  • Auteur de plusieurs ouvrages remarqués 
  • Prix Premier Empire de la Fondation Napoléon (Paris) en 2013 pour Leipzig, la bataille des Nations 
  • Officier du Mérite Wallon décerné par le Gouvernement wallon en 2015 pour l’expertise fournie à l’occasion du bicentenaire de la bataille de Waterloo
  • Lauréat 2018 du Prix Littéraire du Cercle Royal Gaulois (Bruxelles) pour le livre Clausewitz

Du 5 septembre au 5 décembre 2022 | Exposition - La Gloire des « Wallons » : les Belges dans l’armée des Habsbourg, 1756-1815

L’exposition s’articulait autour des collections patrimoniales de la bibliothèque Moretus Plantin (BUMP), notamment des pièces tirées du Fonds Éric Speeckaert pour l'étude des œuvres du Prince Charles-Joseph de Ligne et du Fonds Pierre Mouriau de Meulenacker. Elle était enrichie par des objets et des documents d’époque prêtés par le Musée royal de l’Armée, les Archives de l’État et l’Université de Gand. L'occasion de découvrir des livres précieux, l’équipement d'un sous-officier d'infanterie sous Joseph II, des sabres, des aquarelles et bien d’autres choses encore sur le sujet.

Une Omalius 26
Cet article est tiré du magazine Omalius #26 (septembre 2022).