Forêt

Cet article a été réalisé pour la rubrique "Enjeux" du magazine Omalius #26 de septembre 2022.

« Homo sapiens a toujours extrait des ressources du sous-sol », rappelle Johan Yans, directeur du Département de géologie de l’UNamur et vice-président de l’Institut ILEE (Institute of Life, Earth and Environment). « Cela est même tellement important pour lui qu’il a calibré toutes les époques historiques en fonction de ce qu’il extrayait : âge de pierre, de cuivre, de bronze, de fer, âge des combustibles fossiles et aujourd’hui âge de l’électron, puisque nous extrayons désormais tous les éléments du tableau de Mendeleïev, pour la fabrication de nos objets usuels. » Selon les experts du GIER (Groupe International d’Experts sur les Ressources), équivalent du GIEC en matière de ressources, notre consommation en métal, mais aussi en matières non métalliques extraites du sous-sol est appelée à doubler lors de la transition des combustibles fossiles vers les énergies renouvelables.

« Les matières métalliques comme le lithium sont aujourd’hui indispensables pour les piles électriques ; le cobalt, le nickel et le manganèse constituent l’essentiel des futures batteries », illustre Johan Yans. « Tous les métaux classiques comme le cuivre, l’argent ou l’or sont aussi présents dans le matériel high-tech. Quant aux matières non métalliques, il y a notamment le sable, nécessaire aux panneaux photovoltaïques, mais aussi l’argile, le calcaire... »

Parallèlement à la diminution de notre consommation de combustibles fossiles, une augmentation de nos besoins en matières non combustibles fossiles est à prévoir. « Tout ce qui est électrique nécessite ces matières. Or, les énergies renouvelables et le high-tech sont basés sur l’électricité. Bien sûr, cette problématique n’existerait pas si demain, nous n’avions plus besoin de voitures électriques et de smartphones : on reviendrait alors à ce qui fut l’essentiel de l’histoire d’Homo sapiens qui a vécu sans électricité jusqu’à il y a seulement un siècle... », rappelle-t-il.

 

Homo sapiens a toujours extrait des ressources du sous-sol.  C'est même tellement important pour lui qu’il a calibré toutes les époques historiques en fonction de ce qu’il extrayait : âge de pierre, de cuivre, de bronze, de fer...

Extraction durable

Au Département de géologie de l’UNamur, les chercheurs travaillent spécifiquement à caractériser les ressources métalliques et non métalliques de certains gisements (y compris l’eau), afin d’en favoriser la meilleure extraction possible, dans un objectif de gestion durable. « Il y a environ 150 carrières inscrites au plan de secteur en zone d’extraction en Wallonie, ce qui veut dire qu’il y a une carrière tous les 10 kilomètres sur 10 en moyenne. Mais nous n’extrayons plus aucun métal : seulement des sables, des argiles, des craies pour la sidérurgie, la construction, la verrerie, etc. Les matières métalliques sont extraites à l’étranger. Le Département de géologie travaille beaucoup en collaboration avec le Maroc, la Tunisie, la RDC, l’Algérie, la Nouvelle-Calédonie. Enfin, nous essayons de conscientiser la population quant à la totale dépendance européenne liée aux matières premières géologiques, qui se paie d’un point de vue économique et géopolitique, ce qu’on voit particulièrement bien depuis février 2022 et la crise ukrainienne. »

Comme les gisements ne sont pas des puits sans fond, les processus de recyclage sont un autre point d’attention pour les chercheurs. Au fil du temps, les teneurs et tonnages des gisements (soit l’étendue du gisement, mais aussi le pourcentage de métal contenu dans chaque parcelle) diminue « tout simplement parce que les gens qui sont passés avant nous, comme les Romains, ont pris les meilleures parties... » raconte Johan Yans. « Bien sûr, la technologie nous permet aujourd’hui d’extraire plus de matière utile d’un seul caillou, poursuit-il, mais extraire du cuivre dans un gisement où il y en a de moins en moins va tout de même coûter de plus en plus cher. Nous essayons donc de développer le recyclage, avec le désavantage que même si vous recyclez 90 % de la matière, après le septième cycle, vous n’en avez plus que la moitié. Sans compter les difficultés qu’il y a à recycler des métaux présents en grande variété, mais en faible quantité comme dans les téléphones portables, par exemple, qui comptent environ 50 métaux différents...»

Du sel dans les batteries

Au Département de chimie, l’équipe de Bao-Lian Su s’est penchée sur la possibilité d’utiliser certaines alternatives chimiques au lithium. Les batteries aux lithium-ion (LIB) utilisées dans les GSM ou les voitures électriques sont en effet composées de ce métal extrait en sous-sol et qui pourrait venir un jour à manquer. Sans compter la capacité de stockage limitée de ces batteries au lithium. Les chercheurs de l’UNamur ont donc pensé à le remplacer par... du sodium. « Eh oui, du sel !, explique Bao-Lian Su. On en trouve en quantité très importante sur notre planète. Les batteries au sodium existent déjà, mais notre nouvelle technologie permet de faire voyager deux particules chargées au lieu d’une. De plus, nous avons développé un nouveau matériau de stockage innovant. » Grâce à ce nouveau matériau, l’énergie peut être stockée ou libérée pendant la charge et la décharge, ce qui n’est pas le cas pour les batteries aux ions sodium conventionnelles. « Ces batteries au sodium dual-ions présentent un potentiel émergent par rapport aux batteries au lithium traditionnelles pour la prochaine génération de systèmes de stockage d'énergie électrochimique en raison de leur haut voltage, de leur densité d'énergie élevée, de leur faible coût et de leur respect de l'environnement », résume Bao-Lian Su.

Nous avons trouvé une alternative au lithium.  Le sodium.   Eh oui, du sel ! Les batteries au sodium existent déjà, mais notre nouvelle technologie est nouvelle. De plus, nous avons développé un nouveau matériau de stockage innovant.

Des vitres intelligentes

Au Département de physique, Michaël Lobet et Luc Henrard travaillent sur un projet de vitres intelligentes qui permettraient de réduire la consommation énergétique des bâtiments. « On sait que 35% de la déperdition de l’énergie dans un bâtiment se fait par les vitres, explique Michaël Lobet. Nous travaillons donc sur l’électrochromisme, c’est-à-dire la capacité de moduler la couleur d’une vitre en appliquant une tension électrique. » Aujourd’hui, les vitres électrochromes conventionnelles fonctionnent déjà pour la lumière visible. Mais le rayonnement solaire n’émet pas que dans le visible : 50 % de l’énergie du soleil est émise dans l’infrarouge. Nos yeux ne la voient pas, mais notre corps y est sensible puisque nous sentons la chaleur... « Le but est de différencier la chaleur et la lumière et que les propriétés des vitres puissent être modulées en tenant compte de cette partie invisible », poursuit le chercheur. Ces vitres dynamiques pourraient donc permettre à la fois de contrôler la chaleur qui sort des bâtiments, mais aussi celle qui entre : l’utilisation de climatiseurs au cours des fortes chaleurs constitue en effet, au même titre que le chauffage lors des périodes plus froides, une dépense énergétique importante.

Dans le domaine de la recherche sur les matériaux, il se passe en moyenne 15 ans entre le laboratoire et l’application.

Si ce projet est ambitieux, il en est encore aujourd’hui au stade de la recherche fondamentale. « Dans le domaine de la recherche sur les matériaux, il se passe en moyenne 15 ans entre le laboratoire et l’application, rappelle Luc Henrard. Je reste donc très prudent. » « Il faut rester modeste, acquiesce Michaël Lobet. On apporte une petite pierre pour le bénéfice global. Pour ma part, je pense néanmoins qu’on pourra résoudre une partie du problème climatique par la technologie. » Si Luc Henrard partage l’idée que la recherche a un rôle à jouer dans la transition énergétique, le facteur temps le rend plus pessimiste. « Nous n’avons plus de temps devant nous : on l’avait, mais on ne l’a plus. Les matériaux dont nous parlons peuvent être développés dans 10 ou 15 ans, mais l’urgence est à deux ou trois ans... » Comme il le constate chaque jour, la plupart des jeunes chercheurs ne conçoivent d’ailleurs plus la recherche en dehors des enjeux écologiques, qu’ils considèrent comme un impératif. Le désir de « consacrer une partie de son intelligence à une cause plus grande que soi » comme le dit Michaël Lobet est devenu unanime.

L’informatique durable

Enfin, dans l’un de ses domaines de spécialités qu’est l’informatique, l’UNamur réfléchit aussi à des pratiques plus durables puisque ce secteur est considéré comme quasi deux fois plus polluant que l’aérien...

« Il y a deux aspects à prendre en compte », résume le chercheur Benoît Frenay. « D’abord, l’aspect matériel, c’est-à-dire les ordinateurs, smartphones et autres terminaux que nous produisons et qu’il faudrait idéalement recycler. Deuxièmement, le software, c’est-à-dire les logiciels dont certains consomment beaucoup de ressources, mais qui est une consommation plus compliquée à mesurer, car elle transite via des serveurs, de même qu’avec le cloud, tout se fait sur un autre ordinateur. »

Difficile aujourd’hui de calculer l’empreinte écologique de services de streaming ou d’applications comme Teams. « Il faudrait avoir une petite jauge, comme on en a sur les machines à lessiver. Avec l’augmentation du prix de l’énergie, les gens font des sacrifices, mais en matière d’informatique, cette conscientisation n’a pas lieu. » Une piste serait la mise au point d’un écoscore informatique.

« C’est quelque chose de très complexe à mettre en place, car il faut tenir compte de l’ensemble du cycle. Mais si l’on pouvait par exemple comparer la consommation de deux plateformes concurrentes comme Netflix et Amazon Prime, les entreprises seraient elles-mêmes obligées de trouver des solutions moins énergivores. On pourrait imaginer une échelle comme il en existe pour les appareils électroménagers, un classement de A à F. » Pour ne plus dépenser autant d’énergie les yeux fermés.

Etienne de Callataÿ

Étienne de Callataÿ : « L’histoire montre que l’augmentation des prix de l’énergie contribue à l’efficacité énergétique »

Économiste à l’UNamur, Étienne de Callataÿ considère l’augmentation des prix de l’énergie comme une opportunité pour la transition énergétique. À condition d’adopter les politiques sociales qui vont avec.

L’augmentation des prix de l’énergie aura-t-elle un impact positif sur l’environnement ?

Idéalement, nous aurions la sagesse de changer nos comportements et donc de réduire notre consommation d’énergie fossile, même quand l’énergie fossile est bon marché. Mais cette sagesse, nous ne l’avons pas. C’est donc l’augmentation des prix qui va nous faire changer de comportement et rentabiliser les énergies alternatives. Jusqu’il y a peu, on isolait sa maison par idéalisme et non par calcul économique. Aujourd’hui, on peut le faire pour l’une ou l’autre raison, ou pour les deux.

Peut-on parler d’un mal pour un bien ?

Cette augmentation est un mal pour un bien et en même temps un mal tout court... Car si la cause est l’envahissement et la destruction de l’Ukraine, c’est un mal pour un mal. Mais la conséquence positive est l’impact sur nos changements de comportements. On sait que les voitures commercialisées dans les années 80 consommaient moins que les voitures commercialisées dans les années 60, tout simplement parce qu’entre les deux, il y a eu une forte augmentation des prix de l’essence. L’histoire montre que l’augmentation des prix de l’énergie contribue à l’efficacité énergétique.

Chaque fois que nous allons prendre des mesures pour réduire les prix de l’énergie, nous ferons un cadeau à monsieur Poutine. C’est une erreur sur le plan géopolitique et environnemental.

Comment rendre cette augmentation supportable pour les ménages modestes ?

Chaque fois que nous allons prendre des mesures pour réduire les prix de l’énergie, nous ferons un cadeau à monsieur Poutine. C’est une erreur sur le plan géopolitique et environnemental. À mon sens, le prix de l’énergie doit rester élevé et il faut un accompagnement social lié aux revenus. Une personne qui gagne 1000 euros et en consacre 200 à se chauffer, il faut qu’elle puisse avoir 1200 euros de revenus afin qu’elle soit libre de garder la même consommation énergétique qui passerait à 400 euros ou de mettre un pull en plus et de ne payer alors que 350 euros tout en consacrant 50 euros à autre chose. Il faut qu’elle soit libre de changer de comportement ou pas. Si l’on subventionne directement l’énergie en réduisant la fiscalité, on dissuade les gens de changer de comportement tout en pénalisant les énergies renouvelables.

 

Une Omalius 26
Cet article est tiré du magazine Omalius #26 (septembre 2022).

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