Cette interview a été réalisée pour la rubrique "Alumni" du magazine Omalius #29 de juillet 2023.

À côté de votre fonction au Centre hospitalier de Luxembourg, vous êtes également médecin freelance au sein de l’association Luxembourg Air Rescue. Pouvez-vous nous décrire ses activités ?

Jean Bottu

Au départ, l'ASBL offrait un transport médicalisé de type Samu en hélicoptère, au Luxembourg. Elle s’est ensuite développée sur le plan international, avec des avions, pour fournir aux sociétés d’assurances privées ou professionnelles un service de rapatriement dans différents pays. Elle est spécialisée dans le transfert des patients instables, en soins intensifs ou en réanimation.

Pourquoi avez-vous choisi de diminuer votre activité à l’hôpital pour vous engager au sein d’Air Rescue ?

C’est le résultat d’une longue collaboration. À l’hôpital, je travaillais régulièrement avec Air Rescue pour transporter des enfants de Luxembourg vers des hôpitaux spécialisés en Belgique ou en France. Il y a quelques années, ils m’ont proposé de développer avec eux une activité de transfert de patients instables sur le plan pédiatrique et plus particulièrement néonatal. Peu de prestataires peuvent l’assurer en Europe parce que les normes pour le transport aérien de bébés en couveuse sont très strictes. Ce travail s’inscrit donc dans le continuum de mon activité pédiatrique néonatale intensive. Il est peut-être un peu moins aigu qu’à l’hôpital, mais il est tout aussi intéressant.

Je joue également le rôle de régulateur médical pédiatrique dans l’association. Quand une société d’assurances nous adresse une demande, la première question à résoudre est de savoir si le patient est transportable et si nous en avons les moyens techniques et matériels, en sachant que, dans certaines régions, je rencontre des difficultés pour obtenir les informations médicales objectives ou récentes. Je gère ensuite l’action sur le terrain. L’enfant est transféré soit d’un aéroport à un autre, soit d’un hôpital à un autre ou une combinaison de ces possibilités. Le service logistique va ensuite organiser le vol (routage, autorisations, désigner pilote, co-pilote et infirmier…) mais aussi les déplacements en ambulance.

Dans quel pays intervenez-vous ?

En théorie partout, mais en pratique j’interviens surtout en Europe et en Afrique du Nord. L’est de la Sibérie était ma destination la plus lointaine avec la couveuse. Avant la crise COVID, j’assurais à peu près un transport par semaine. On est actuellement en phase de redémarrage avec une flotte qui se renouvelle. Je vole donc moins pour le moment.

Intervenez-vous aussi dans des pays en guerre, comme l’Ukraine ?

Non, parce que l’association ne veut pas mettre ses employés en danger. Cela dit, une association qui réalise des interventions chirurgicales en Ukraine avait opéré des enfants souffrant de malformation cardiaque. Elle nous a demandé de transférer un de ces enfants. Elle l’a donc emmené en Pologne, non loin de la frontière, où nous sommes allés le chercher. C’était assez impressionnant, mais c’était sur le territoire polonais.

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Vous êtes confronté à des réalités très différentes, notamment en matière de prise en charge des patients, qu’est-ce qui vous marque le plus ?

Il y a deux catégories de rapatriements. Beaucoup de bébés sont dans des zones où les moyens sont suffisants pour assurer un minimum de soins. Et puis, il faut parfois aller chercher un enfant qui se trouve dans une zone où les soins sont plus limités et où le risque du transport peut être moindre que de rester sur place. Voir la différence de moyens permet de relativiser les frustrations que l’on peut avoir chez nous. On est quand même vraiment gâtés, que ce soit en Belgique ou au Luxembourg. On ne s’en rend pas toujours compte.

Vous avez créé une antenne de Médecin du Monde au Luxembourg. Pourquoi ?

Nous sommes partis du constat qu’il y a au Luxembourg, comme partout ailleurs, des personnes qui vivent dans la précarité et qui n’ont pas accès aux soins de santé. Nous avons donc commencé par suivre et soigner des patients dans la rue. Puis, forts d’une documentation venant du terrain, nous avons interpellé les pouvoirs publics pour mettre en place des initiatives qui soutiennent ces personnes en difficulté. C’est une expérience extrêmement riche. Un peu malgré moi je me suis retrouvé à la tête du Conseil d’administration. J’ai appris beaucoup de choses et côtoyé des gens de haut niveau et de formations diverses, que ce soient des juristes, des financiers ou des spécialistes en communication.

On commence la médecine parce qu’on souhaite devenir chirurgien ou faire de la recherche contre le cancer. Et puis, en fonction des rencontres que l’on fait, les choix peuvent être complètement différents.

Quels conseils donneriez-vous aux jeunes qui veulent se lancer dans la médecine ?

Quand j’observe mon parcours ou celui d’autres personnes, j’ai envie de leur dire de garder les portes et les yeux ouverts. On commence la médecine parce qu’on souhaite devenir chirurgien ou faire de la recherche contre le cancer. Et puis, en fonction des rencontres que l’on fait, les choix peuvent être complètement différents. Avoir des idées arrêtées limite les champs du possible. Cette ouverture d’esprit est absolument indispensable.

Que retenez-vous de votre parcours à l’Université de Namur ?

Deux mots me viennent à l’esprit : rigueur et exigence. Cela nous a donné une force. Nous avons compris que nous avions eu à Namur une formation de base solide qui nous a permis d’avancer sans crainte et sans difficulté à l’UCLouvain. Et cela, je l’ai vraiment apprécié et je l’apprécie encore aujourd’hui.

Avez-vous une anecdote particulière à nous raconter ?

J’en ai une qui me vient à l’esprit. Nous nous bousculions pour assister aux cours de biologie animale du père Bauchau. Il y avait des étudiants d’autres facultés, même des juristes, tellement ce cours était fascinant. C’était un véritable show qui restera gravé à vie dans ma mémoire grâce au talent du professeur Bauchau. C’était extraordinaire. On aurait pu le surnommer One Man Baushow !

Parcours express

1980 – 1983 : Candidature en médecine à l’Université de Namur

1983-1987 : Doctorat en médecine à l’UCLouvain

1987-1992 : Spécialisation en pédiatrie et néonatologie à l’UCLouvain

1991-1992 : Formation en néonatologie à l’hôpital des enfants malades à l’Université de Toronto

1992-1998 : Pédiatre néonatologue au Grand hôpital de Charleroi

1996 1998 : enseignant en néonatologie à la Haute École Louvain en Hainaut

Depuis 1999 : néonatologue au Centre hospitalier de Luxembourg

Depuis 2015 : Référent pédiatrie et néonatologie puis référent médical pour Luxembourg Air Rescue/Luxembourg Air Ambulance

Omalius

Cet article est tiré du magazine Omalius #29 de juillet 2023.

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